mardi 13 janvier 2009

La tragédie d'un homme ridicule


Parmi les grands cinéastes italiens, on oublie parfois ceux qui sont encore vivants. Si Visconti, De Sica, Pasolini, Fellini, Antonioni, Ferreri, Risi, Bolognini, Rosselini nous ont quitté, Bertolluci* lui est toujours bien de notre monde, et il est intéressant de redécouvrir son oeuvre, et notamment celle qui nous est la moins connue. Nous évoquerons bien entendu un jour ses grands classiques que sont "le conformiste", "1900", "le dernier tango à Paris" ou encore "le dernier empereur", ou "un thé au Sahara", nous laisserons certainement plus volontiers de côté les "beauté volée" ou "Little Buddha", mais pour l'heure, attardons-nous sur une comédie, euh, une tragédie, celle d'un homme ridicule, Ugo Tognazzi. L'un des monstres, sacré [à Cannes pour ce rôle notamment] du cinéma italien, le monsieur de la chambre de l'évêque ou la tante de la cage aux folles, nous campe ici un personnage troublé, abasourdi, en proie à une remise en question complète de toute son existence. A ses côtés, une femme, Anouk Aimée, échappée de Fellini ou Lelouch (Un homme et une femme bien évidemment).
Tous deux entretiennent des relations bien différentes avec leur fils, esprit libre, contestataire, dans une Italie où le choc des générations se fait sentir, où la quête de sens plus que jamais resurgit. Ugo Tognazzi, maître fromager exploiteur, enrichi à force de travail, enrichi mais aussi endurçi, résigné, aigri. Son existence, qui dans sa prime jeunesse avait pu revêtir quelques habits idéologiques, est réduite à la plus nue expression du matérialisme, quand les sentiments vivotent. Le sens de l'humour perdu, le sens de l'amour égaré, le propriétaire entretient des relations conflictuelles avec son seul fils, fils à sa maman bien aimée.

Le film dissèque cette relation père-fils ambigue, comme le paysage politique italien, et nous dirige vers un trouble vertigineux: lors même que le fils envoie une lettre, et quelques présents adressés à son père, celui-ci, ragaillardi, assiste à une scène peu banale: le rapt de son fils après une course poursuite dont on pouvait penser qu'elle fut amicale.
Le décor est donné, l'intrigue trouvée ... Qui a kidnappé le fils ?
Film policier alors ....
A l'heure des brigades rouges, et au vu de l'engagement politique du fils du fromager ...
plutôt une critique sociale ?
Une relation homme-femme ambigue, la tragédie d'un homme que les gens délaissent ...
Un portrait psychologique ?
Une tragédie ?
Une comédie ?

Rien de tout ceci, ou plutôt un peu de tout ça ... L'enlèvement lui même sonne étonnant, ambigu.

L'intérêt est là, dans la confusion des genres, dans la confusion que les personnages, l'histoire, les situations suscitent au spectateur.

Au delà de cette interrogation dont vous trouverez peut être réponse (mais il est intéressant à la manière d'un bon Lynch de laisser l'interprétation choir en plusieurs hypothèses, sans plus de poids pour l'une ou l'autre), nous voyageons et redécouvrons les paysages verdoyants parmesans.

Un hommage à cette région quelque part ... hommage ou annonce de départ ... Bertolluci quitta l'Italie peu après.

Si vous nécessitez un dernier argument pour vous risquer à vous confondre, j'évoquerai le trio d' acteurs et actrices: Tognazzi, Aimée, Morante.




* parmi les rescapés citons encore Monicelli, Ettore Scola, les frères Taviani, Bellochio, Moretti, ...

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