lundi 15 juin 2009

Who's that knocking at my door : premier Scorcese réédité au TNB

Who's that knocking at my door est le premier long métrage de Scorcese. Tourné en noir et blanc , le film date de 1969. Il pose déjà les bases de son cinéma à venir. Il affirme ses sujets de prédilection en mettant en scène Jr , interprété par un Harvey Keitel débutant: un héros tiraillé entre ses principes religieux et son désir sexuel. La religion donc mais aussi le rôle de la bande son qui tient une place prédominante dans son oeuvre. Ici nous sommes face à une bande de petites frappes adeptes des soirées arrosées et des bagarres, à l'image du plan séquence d'introduction, auxquelles participe Jr. Scorcese filme également une histoire d'amour tourmentée comme dans tous ces films. La femme convoitée par Jr doit incarner une certaine pureté au sens religieux du terme et le problème c'est que la femme en question apprend à Jr qu'elle a été violée. L'amour auquel semblait être voué les deux personnages semble être contrarié. C'est souvent le tourment qui emporte les personnages des films de Scorcese.

Pourtant cette histoire d'amour a bien commencé et est filmé par Scorcese comme une leçon de cinéma. C'est en lui parlant de La prisonnière du désert de John Ford que Jr séduit cette jeune femme. A la manière d'un Truffaut pour exprimer la singularité de son cinéma , chez Scorcese on parle des films qu'on aime. Puis viennent les "scènes de lit" dans une chambre très pieuse qui renvoient à une scène très proche de Raging bull (entre De Niro et une jeune femme ) qui fut tournée dans la chambre même de la mère de Scorcese. Dans tous ces films les histoires entre homme et femme finissent mal en général : le couple déchiré de Raging bull ou de Casino. Dans ce film la violence n'est pas encore paroxystique entre les personnages . Pas encore de Joe Pesci pour incarner la violence même si la scène inaugurale, scène de bagarre présage la violence à venir dans les prochains films . La violence donc moins présente et surtout une bande de copains qui traînent qui boivent et qui emballent les filles à l'image des Vitelloni de Fellini autre référence pour cet italo-américain qu'est Scorcese.

C'est le Scorcese débutant qu'on aime dans ce film qui tente des choses visuellement et qui marque de son sceau la pellicule. On le regarde travailler la matière cinématographique et inventer. On retrouve son style : les arrêts sur image, les ralentis qui subliment le quotidien, les inserts d'images de cinéma expression d'un certain chaos mental du héros. Ruptures pour interpeller le spectateur , qui rappellent le Godard d'A bout de souffle. On retrouve aussi une bande son rock genre de musique qui accompagnera quasiment tous ses films .

On aime encore le cinéaste débutant pour l'intimité qu'il crée dans les scènes et qu'il continuera d'exprimer dans Mean streets. Son cinéma est plus insouciant et moins démesuré que les films qui suivront. Il y a une sorte d'innocence à l'image du visage encore juvénile d'Harvey Keitel. L'utilisation du noir et blanc donne au film un aspect proche du documentaire d'autant plus quand on voit que le film constitue aussi un document sur Scorcese lui même. On ne peut éluder la part autobiographique très forte du film : les scènes à l'église pour celui qui dit avoir hésité entre une carrière de prêtre ou de cinéaste.

Des scènes de nus, fantasmes d'Harvey Keitel apparaissent dans le film, rarissime dans le cinéma scorcésien. On sent bien que ce film est à la fois fondateur de son oeuvre et à part dans ce qu'il ose montrer. Who's that knocking at my door ou les débuts d'un grand cinéaste.






WHO'S THAT KNOCKING AT MY DOOR - Bande Annonce du Film -

Les beaux gosses

Les beaux gosses est le premier long métrage du dessinateur de BD Riad Sattouf. Il est connu, entre autres, pour avoir dépeint l'univers des adolescents dans sa série La vie secrète des jeunes dans Charlie Hebdo. Dans ce film, il n'y a rien à voir de commun avec les bluettes cinématographiques que sont La boum ou encore LoL . Le réalisateur évite l'écueil de ces films à l'eau de rose pour nous délivrer un univers plus "trash", plus "punk" et surtout avec un véritable regard d'auteur comique .

On suit alors les tribulations d'un jeune collégien pataud Hervé et de son copain Kamel, tronches de cinéma , qui subissent les conséquences de l'âge ingrat: boutonneux. Déboires auprès des filles sont leur lot quotidien. Les spectateurs sont donc en prise directe avec leurs questions sur la sexualité, leurs désirs voués à leur perte jusqu'au jour où Hervé le personnage principal séduit presque malgré lui Aurore une des plus belles filles du collège

Dans ce film , il y a toute une galerie de personnages aussi mémorables les uns que les autres : Hervé le jeune ado pataud qui exprime à la perfection la nonchalance de cet âge, Kamel son meilleur ami à la coupe de cheveux improbable fan de hard rock , on retrouve aussi la belle fille du collège méprisante, le caïd... Riad Sattouf évoque aussi toutes les humiliations qu'on se fait subir à cet âge où l'épanouissement apparaît très compliqué pour certains comme pour le jeune héros. Les échecs que rencontre le héros du film renforcent son pouvoir comique . Le réalisateur prend le contre pied du portrait type gravure de mode que font des ados les séries télés françaises ou américaines. Le titre du film est à cet égard très ironique. Le réalisateur dit qu'il voulait filmer avant tout des tronches et le pari est réussi .

Un univers décalé jusque dans l'attention portée aux petits rôles dont le plus marquant est celui de la mère d'Hervé interprétée par Noémie Lvovsky hilarante en mère maniaco dépressive qui ne cesse de s'immiscer dans la vie privée de son fils. Apparaissent également au générique Emmanuelle Devos en directrice excentrique, Irène Jacob en femme de la bourgeoisie ou encore un clin d'oeil à Marjane Satrapi autre figure de la bande dessinée .

On ne s'ennuie donc pas une seconde et on appréciera en plus le mauvais goût de certaines scènes humoristiques du film la référence au petit Grégory entre autres ou encore le suicide d'un des professeurs . La crudité d'un humour souvent assez noir vaut le déplacement dans un cinéma français souvent enclin à stéréotyper les ados dans un monde rose bonbon en décalage total avec la réalité, leur univers et leurs préoccupations que le réalisateur aborde frontalement et sans pincettes. Riad Sattouf en parlant de l'adolescence prend le parti d'en rire ce qui est sûrement le meilleur moyen de retranscrire avec justesse cette période de notre vie . Allez voir sans hésiter les beaux gosses qui se déroulent en plus dans notre ville à Rennes.

lundi 8 juin 2009

Lola Montes de Max Ophüls au TNB


Qu'y a-t-il de pire pour un cinéaste, auteur reconnu de surcroît, que de voir son oeuvre mutilée et déformée ? C'est ce qui est arrivé au grand Max Ophuls pour Lola Montès. Aujourd'hui, par le miracle des progrès numériques, le film ressort dans la version voulue par le réalisateur.

Le film sort en 1955, la vie d'une courtisane célèbre, adaptée d'après le roman de Cécil Saint Laurent (auteur de Caroline chérie) avec pour tête d'affiche, la plus grande star française de l'époque, Martine Carol. Hélas, le public n'est pas au rendez-vous. Aussi les producteurs décident de remonter entièrement le film dans un ordre chronologique, d'enlever les couleurs vives, les effets sonores, dénaturants complètement l'oeuvre d'origine. Pourtant le jeu sur ce format cinémascope, le son stéréophonique - la façon dont Ophüls en tirait partie - formaient la colonne vertébrale du film. Les modifier revenait à l'annuler. Truffaut, notamment, proteste. La version originale est encensée par Les Cahiers du cinéma -Godard, Rivette- mais aussi Jacques Tati ou Roberto Rossellini.

Cette "nouvelle" version, qui afflige le réalisateur, n'en sera pas moins un désastre.

En 1966, la société Les Films du Jeudi du producteur Pierre Braunberger racheta les droits d'exploitation du film. Sous l'égide de la Cinémathèque Française et avec l'aide du mécénat, une restauration exceptionnelle a été menée : la variété des palettes de couleurs, l'ampleur du son, la langue originale des dialogues, ainsi que le montage de l'auteur et le format du film ont été rendus à leur exactitude. Cette version a été autorisée par le propre fils du réalisateur, Marcel Ophüls.

Miraculeusement, le film initial réapparaît sous nos yeux. Étrange ironie du destin, les films les plus décriés passent sans transition dans l'approbation générale et la reconnaissance en tant que chef-d'oeuvre.

L'histoire retrace donc la vie d'une célèbre courtisane, incarnée par une Martine Carole au destin non moins tragique, qui, après avoir été une danseuse sans talent, maîtresse d'innombrables et illustres amants -dont le roi de Bavière- finit par devenir littéralement une phénomène de cirque : elle raconte sa vie sous un chapiteau à un public médusé. De spectaculaires tableaux vivants retracent les principaux épisodes de sa vie hors du commun.

Dans le film, que de flash-back initiés par ces tableaux! Mais les tours de force se trouvent justement là, dans les scènes du cirque, spectaculaires, incroyables, colorées, virtuoses, chorégraphiques, un peu cauchemardesques aussi : on ne sait ce qui défilent sous nos yeux : des géants, des nains, des animaux eux aussi de toutes tailles, des acrobates, des paillettes, des costumes chamarrés... Lola met sa vie en péril : à la fin de son "numéro" elle doit se mettre en péril devant le public en effectuant "un saut de la mort" sans filet, or son coeur de grande fumeuse de cigare vacille pour le moins, et elle ne tient guère sur ses jambes, y survivera-t-elle ?

Les scènes de cirque constituent tout l'attrait du film: on n'a jamais vu ça. On comprend, en les voyant, combien Jacques Tati ou plus récemment Baz Lurman (Moulin Rouge) ont pu s'en inspirer. Ophüls est le maître du chaos ordonné, de l'espace, du ballet, du mouvement, de la chorégraphie -tant celle des acteurs ou des figurants que celle de la caméra, des décors somptueux et luxuriants.

Les "admirateurs" de Martine Carole, amateurs de Caroline Chérie, ont du être déçus : pas de blondeur, pas d'esprit gaillard, pas de sein coquin dévoilé. Empérruquée de noir ivoire, bouche carmin -une sorte de Dita Von Teese- Carol est l'interprète idéale en ceci que la tragédie de son destin s'accorde parfaitement à celle de l'héroïne qu'elle incarne. On a dit qu'elle n'était pas une bonne actrice, on continue de le dire : on a tort. Si elle a certes été imposée par la production -à la place de Danièle Darrieux - Ophüls a su en tirer le meilleur et sa grâce maladroite, sa maturité -elle est femme et plus jeune fille-, la fragilité de son statut -encensée puis déchue- sont celles de Lola. Un an plus tard, cette actrice légère à la vie tragique -eh non Romy Schneider n'a pas le monopole du Destin Tragique- sera détrônée par une certaine Bardot. Lola Montès, émerveillement des yeux et serrement triste du coeur, porte le deuil : Ophuls décédera deux ans plus tard, sans avoir pu voir son film réhabilité, et Carol -souvenez-vous, la Monroe française !- à peine douze ans plus tard de manière tragique. Revoir Lola Montès les faire vivre encore.

vendredi 5 juin 2009

Antichrist ***


Soufre. Satan.
Nous parlons quand même de Von Trier, longtemps adulé tant que les récompenses ne suivaient pas, tant qu'il était dans l'ombre, et qui une fois parvenu, a commencé à faire naître des polémiques, a s'attirer les foudres de ceux là même qui l'ignoraient, ne le connaissaient pas.
Disons-le tout net, Antichrist n'est pas son meilleur film.
L'indignation est générale, et cette indignation, est par contre, très indignante.
Provocation, masochisme, acharnement, misogynie, scandale !
Certes, ces thèses peuvent être entendues, et peut être même qu'elles sont vraies. Oui mais ! Oui mais, nous parlons d'un réalisateur qui s'est toujours mis en marge, et qui a ouvert des voies à d'autres, même si le Dogme peut paraître austère, il fut une attaque virulente et sensée de l'hollywoodisation; et c'est tout à son honneur que de se renier aujourd'hui et de revenir à une forme et à un fond très proches de ses inspirations premières, qu'elles soient celles des fantômes de l'hôpital, série tv devenue culte sans pour autant être géniale, celles de l'excellent et impeccable Element of crime, mais aussi celles de ses inspirations fondamentales: Bergman en premier; en regardant Antichrist on crève de revoir Sarabande, l'analogie nous saute aux yeux, Tarkovski en second auquel il dédicace ce film, effet Miroir ? (on est proche en effet du Miroir de Tarkovski, plus que de Solaris, quoi que ...), les dramaturges nordiques en troisième (Ibsen, Stringberg).
Parcourons tous les points positifs de cet essai; tout d'abord louons l'essai, à la manière d'un Polanski, Von Trier souhaite nous faire peur et nous questionner; poursuivons par conseiller un montage du film qui lui donnerait une couleur toute différente; regroupons le prologue et l'épilogue, et reconnaissons que ces deux scènes sont parmi les plus belles qu'ils soient. Continuons, admettons que l'effroi, s'il est maintenu par des recettes écumées de film d'horreur (des musiques stridentes, angoissantes), prend par moment. Soulignons la richesse des lectures possibles de ce film, la richesse des thèmes évoquées, en tête la Nature, la forêt, la mythologie et la théologie (quoi que cela puisse faire bondir), la mystique, la psychologie [quoi que thérapeutique], en second le lien avec Von Trier lui même et donc la mise en abîme, le côté conte de Grimm interdit aux enfants; l'extrême beauté, magnifique choix esthétique que cet opéra d'Haendel, et enfin le côté intriguant, fascinant.
Mais n'oublions cependant pas de souligner les critiques valables, celles qui refusent l'intérêt de l'entreprise pornographique, salace, ou violente, celles qui visent le côté brouillon, inabouti, celles qui visent le côté répétitif de la thérapeutie, voire même son aspect ridicule, celles qui dénoncent le ridicule aussi des thèses sataniques, celles qui dénoncent le côté abscons mais aussi facile, celles qui dénoncent jusqu'au titre même et l'attaque en règle contre la religion et laissons ouverts les débats sur la misogynie et la morale sans nous positionner avec certitude.

Ce film reste en mémoire, et pourtant, il ne peut pas être qualifié de pièce d'exception, tant l'impression qui reste est mitigée.

A voir pour les seuls cinéphiles qui s'intéressent à Bergman, à Tarkovski, pour tous les fans de Von Trier et plus exactement pour les nostalgiques d'Element of Crime, pour les personnes très averties.
A ne surtout pas voir pour tous les autres, cinéphiles ou non, cela leur serait pleinement inutile et traumatisant.


Antichrist Bande annonce

jeudi 4 juin 2009

Departure *, oui mais ...


Oscar du meilleur film étranger. Récompense qui en général va à un film consensuel, qui allie succès populaire et qualité de bonne facture. Departure répond parfaitement à ces deux critères, et l'Oscar est donc mérité.
Ce film est grand public; et verse dans l'universalité, dit ici de manière plutôt péjorative, mais ce n'est pourtant pas une critique si négative; on mentirait si l'on ne reconnaît pas être touché par instants, par ce sujet tout à la fois fort et facile. Nous nous plaisons dans un premier temps, à découvrir un récit bien construit, avec un portrait qui se dessine à nous d'un jeune homme dont on pressent qu'il est sensible et sympathique, on découvre un second personnage tout en dignité, dans l'exercice de ses fonctions, on apprécie encore la simplicité de la forme, le temps pris pour nous conter des petites choses, une minutie; on pense que le personnage féminin fait contre-poids, et sa bonne humeur nous est communicative; mais ici c'est une fausse piste, ce personnage sera finalement bâclé et fade; on se prend à croire à un deuxième cocktail jubilatoire, alliant émotion et sensibilité, critique de la société japonaise, des non-dits éducatifs; vous reconnaitrez la surprise incontestable de ce début d'année, Tokyo Sonata.
Malheureusement, l'enthousiasme est ici moindre, certes c'est un film plutôt bon dans l'ensemble; mais il pêche parfois. Le principal reproche est peut être l'égarement, à trop vouloir multiplier les intrigues, d'ailleurs la première et principale fonctionne globalement, on en vient à deviner les évènements, rebondissements, et le film perd en profondeur de description, il parait parfois superficiel. Tel un symbôle, la fin est ratée, ou plus exactement la toute fin, car nous avons une première fin qui se rappelle à l'introduction du film, mais trop prévisible elle nous aurait plutôt décu, la seconde suit et nous surprend de poésie, l'image aurait été belle, las, une troisième fin vient tout gâcher, l'ultime intrigue final fait fausse note dans la partition, et l'on vient à se dire que le rapport à la musique dans ce film est elle aussi une fausse note, l'intention est bonne, le résultat plus amateur ... Une maîtrise inégale en somme, trop cousue de fil blanc; cela restera un bon film, mais on passe à côté de mieux.

Departures - Bande annonce Vost FR