lundi 8 juin 2009

Lola Montes de Max Ophüls au TNB


Qu'y a-t-il de pire pour un cinéaste, auteur reconnu de surcroît, que de voir son oeuvre mutilée et déformée ? C'est ce qui est arrivé au grand Max Ophuls pour Lola Montès. Aujourd'hui, par le miracle des progrès numériques, le film ressort dans la version voulue par le réalisateur.

Le film sort en 1955, la vie d'une courtisane célèbre, adaptée d'après le roman de Cécil Saint Laurent (auteur de Caroline chérie) avec pour tête d'affiche, la plus grande star française de l'époque, Martine Carol. Hélas, le public n'est pas au rendez-vous. Aussi les producteurs décident de remonter entièrement le film dans un ordre chronologique, d'enlever les couleurs vives, les effets sonores, dénaturants complètement l'oeuvre d'origine. Pourtant le jeu sur ce format cinémascope, le son stéréophonique - la façon dont Ophüls en tirait partie - formaient la colonne vertébrale du film. Les modifier revenait à l'annuler. Truffaut, notamment, proteste. La version originale est encensée par Les Cahiers du cinéma -Godard, Rivette- mais aussi Jacques Tati ou Roberto Rossellini.

Cette "nouvelle" version, qui afflige le réalisateur, n'en sera pas moins un désastre.

En 1966, la société Les Films du Jeudi du producteur Pierre Braunberger racheta les droits d'exploitation du film. Sous l'égide de la Cinémathèque Française et avec l'aide du mécénat, une restauration exceptionnelle a été menée : la variété des palettes de couleurs, l'ampleur du son, la langue originale des dialogues, ainsi que le montage de l'auteur et le format du film ont été rendus à leur exactitude. Cette version a été autorisée par le propre fils du réalisateur, Marcel Ophüls.

Miraculeusement, le film initial réapparaît sous nos yeux. Étrange ironie du destin, les films les plus décriés passent sans transition dans l'approbation générale et la reconnaissance en tant que chef-d'oeuvre.

L'histoire retrace donc la vie d'une célèbre courtisane, incarnée par une Martine Carole au destin non moins tragique, qui, après avoir été une danseuse sans talent, maîtresse d'innombrables et illustres amants -dont le roi de Bavière- finit par devenir littéralement une phénomène de cirque : elle raconte sa vie sous un chapiteau à un public médusé. De spectaculaires tableaux vivants retracent les principaux épisodes de sa vie hors du commun.

Dans le film, que de flash-back initiés par ces tableaux! Mais les tours de force se trouvent justement là, dans les scènes du cirque, spectaculaires, incroyables, colorées, virtuoses, chorégraphiques, un peu cauchemardesques aussi : on ne sait ce qui défilent sous nos yeux : des géants, des nains, des animaux eux aussi de toutes tailles, des acrobates, des paillettes, des costumes chamarrés... Lola met sa vie en péril : à la fin de son "numéro" elle doit se mettre en péril devant le public en effectuant "un saut de la mort" sans filet, or son coeur de grande fumeuse de cigare vacille pour le moins, et elle ne tient guère sur ses jambes, y survivera-t-elle ?

Les scènes de cirque constituent tout l'attrait du film: on n'a jamais vu ça. On comprend, en les voyant, combien Jacques Tati ou plus récemment Baz Lurman (Moulin Rouge) ont pu s'en inspirer. Ophüls est le maître du chaos ordonné, de l'espace, du ballet, du mouvement, de la chorégraphie -tant celle des acteurs ou des figurants que celle de la caméra, des décors somptueux et luxuriants.

Les "admirateurs" de Martine Carole, amateurs de Caroline Chérie, ont du être déçus : pas de blondeur, pas d'esprit gaillard, pas de sein coquin dévoilé. Empérruquée de noir ivoire, bouche carmin -une sorte de Dita Von Teese- Carol est l'interprète idéale en ceci que la tragédie de son destin s'accorde parfaitement à celle de l'héroïne qu'elle incarne. On a dit qu'elle n'était pas une bonne actrice, on continue de le dire : on a tort. Si elle a certes été imposée par la production -à la place de Danièle Darrieux - Ophüls a su en tirer le meilleur et sa grâce maladroite, sa maturité -elle est femme et plus jeune fille-, la fragilité de son statut -encensée puis déchue- sont celles de Lola. Un an plus tard, cette actrice légère à la vie tragique -eh non Romy Schneider n'a pas le monopole du Destin Tragique- sera détrônée par une certaine Bardot. Lola Montès, émerveillement des yeux et serrement triste du coeur, porte le deuil : Ophuls décédera deux ans plus tard, sans avoir pu voir son film réhabilité, et Carol -souvenez-vous, la Monroe française !- à peine douze ans plus tard de manière tragique. Revoir Lola Montès les faire vivre encore.

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