samedi 12 septembre 2009

Aucun regret ***

L'ennui pouvait ennuyer. La plastique était belle, Sophie Guillemin moins, mais son jeu sonnait étrange et tout ou presque reposait sur cet échange avec un Berling plutôt atone et désirant.
La rencontre entre un acteur professionnel et une amatrice, un choc des contraires, dans le casting et à l'écran.
Le nom Cédric Kahn s'était imposé, la critique a su voir l'esthète.
Quelques années plus tard, le désir interroge de nouveau le réalisateur, toujours aussi attiré par les conflits internes, les pulsions amoureuses, l'épanouissement corporel. Mais cette fois-ci, Cedric Kahn s'intéresse aux regrets du désir, à une mémoire d'un désir, et la liberté de création permet de réveiller les émois enfouis, refoulés. Il offre à Yvan Attal, bien loin de ses compositions récentes ou plus anciennes, d'adolescent turbulent (Aux yeux du monde), l'occasion de briller en amoureux retrouvé, en homme fougueux qui se réveille soudainement pour redonner sens à sa vie. Ce rôle est assez fort.
Surtout, à la différence de l'ennui, Kahn nous étonne en peignant des personnages expressifs, passionnés, et empreints de sentimentalité. La peinture n'est pas uniquement statique, elle est dynamique, au point que Cedric Kahn lui même considère son film comme un film d'actions !
Les évènements romanesques s'enchaînent, alors que nous restons pour autant dans un cinéma de gestes, où les silences et les expressions; à l'image d'un Bresson; composent eux aussi un dialogue, une histoire.
De nombreux plans s'arrêtent, et tour à tour nous saisissent, nous glacent, nous interloquent, nous interrogent. Nous sommes dans un cinéma en mouvement, entraînés dans une fuite plutôt effrénée dont l'issue nous est inconnue; il en émane la naissance d'un suspens que la musique stridente de Philip Glass entretient.
La recette est pourtant connue, Kahn dit l'emprunter pour partie à Truffaut et à "la Femme d'à côté", sur cette question du retour du passé enfouie , dont le deuil n'a jamais été fait, dans le présent, mais aussi dans cet amour interdit, qui rapproche deux être très différents et quelque part complémentaire. Yvan Attal campe Mathieu, un "terrien", architecte à l'ambition mesurée, rangé dans son quotidien professionnel qu'il partage avec son épouse presque à son image, jouée par l'intéressante Arly Jover, que l'on avait aperçu notamment dans "le voyage aux Pyrénées", le film des frères Larrieu, qui réunissait aussi au casting Philippe Katerine . Il avance jusqu'alors dans la vie avec certitude, et veut maîtriser son destin; il prend les décisions, vit dans le présent.
Valeria Bruni Teddeschi, Maya,  incarne elle une jeune femme qui se laisse envahir par ses instincts, se laisse guider par la vie, ici ou là; elle subit la vie, ses aléas. Le passé lui a valu infortune; elle s'accroche à des projets qui ne sont pas les siens. Sensuelle, énigmatique, incohérente, animée; son personnage est mystérieux. La demie-sœur de Carla Bruni nous rappelle ici son rôle dans "Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel"de Laurence Ferreira Barbosa, au scénario duquel avait participé un certain Cedric Kahn.

Tous deux se sont aimés dans leur prime jeunesse, d'un amour ambitieux, difficile; le désir les envoûte, les dépasse, leur fait peur. La cristallisation Stendahlienne s'éternise, les doutes ne laissent pas place aux certitudes, l'union fait naître la douleur de l'absence, la nécessité de la fuite.
La fuite qui permet le retour au calme, à la stabilité, bien loin des projets d'aventure.
Le film raconte la résurgence subite de cet amour dans l'esprit de Mathieu; perturbé par la mort de sa mère à laquelle il assiste. Il en souffre. Les images du jeune Mathieu restent en lui; il se sépare des choses qui restent, de quelques mémoires, mais souhaite toujours honorer et respecter son passé, et ne pas vendre les biens de ses parents, alors que son frère qui a depuis longtemps tourné la page ne s'embarrasse pas de pareil sentimentalité; et le lui fait bien savoir dans un reproche cinglant. Mathieu a réussi "en apparence" semble-t-il lui dire, le fragilisant peut être dans ses certitudes auxquelles il se raccroche, notamment dans cet amour qu'il a "bien sûr" pour sa femme. La fragilité le rattrape dés qu'il voit Maya ...
La suite et la fin, nous ne la regrettons pas. Le cinéaste fait preuve d'une belle qualité narrative, d'un esprit romanesque animé; il prend soin d'éviter d'apitoyer sa caméra sur les victimes de ce jeu d'adultère, avec une certaine élégance pour rester sur son sujet; et surtout il conclut sur une ellipse qui nous fait dire que plus que jamais les regrets sont éternels.
A tout vous dire, si Kahn pense à une trilogie après "l'ennui" et "les regrets", conseillons lui "les remords".

Place ici à la bande annonce de ce bon film, qui laisse place à de multiples lecture.


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