dimanche 18 octobre 2009

Eclair de Jesco White, Von Trier D'or *****


Cannes décerne chaque année ses Palmes, Dinard remet ses Hitchcoks à ses lauréats.
Pourtant, avec White Lightnin', littéralement "Eclair blanc" ou plus justement l'éclair Jesco "White", Dominic Murphy aurait mérité plus encore un Von Trier d'or (mais non un Dogma d'or). Car si cette œuvre a de quoi effrayer, angoisser, la référence à Hitchcock est bien trop lointaine; la lignée est ailleurs. Nul suspense, nulle intrigue; en lieu et place un simple destin, un destin simple, celui de Jesco White, danseur illuminé de tap-danse, danse des montagnes, tiré d'une histoire vraie. La trame chronologique choisie s'avère parfaitement didactique; le spectateur se voit tour à tour exposer d'une part les causes, le contexte social et familial, par ailleurs dans une parenthèse enchanteresse une incursion dans le réel, le concret, la vie rédemptrice, et d'autre part les conséquences, les actes. Le mot n'est jamais prononcé mais le film questionne en permanence la maladie mentale, une psychose schizophrénique vraisemblablement. Le plus plausiblement, nous interprétons que la maladie se déclenche contextuellement, tout d'abord par un climat social difficile et asphyxiant, de celui qui nous fait dire "ce n’est pas gagné d'avance" ou "y'a du boulot". Tout est presque perdu d'avance à vrai dire, et la tâche semble insurmontable. Loin du confort bourgeois, loin des strass et paillettes d'une enfance châtelaine qui nous est si souvent contée, nous nous trouvons ici face à une vie à la marge, faite d'incertitudes, de difficultés à joindre les deux bouts, de dureté dans les rapports, de débauches fréquentes, de dérèglements : l'enfance de Jesco White lui appartient pleinement, si ce n'est cette lignée paternelle, ce don de la danse que lui enseigne son père; Jesco sera le dernier danseur des montagnes appalaches.


Dans ce contexte précis, fuir, s'échapper, intègre tout naturellement le quotidien d'un enfant de 6 ans, livré à lui même, livré à ses démons (Le diable probablement dirait Bresson), l'essence humée procure avec facilité cette nécessité de l'ailleurs, ce besoin d'apaisement. L'addiction naît, peut-on dire, en conséquence. Pourtant celle-ci en retour produit ses effets, l'absence de construction mentale, l'absence de repère, ce "no limit" qui légitime la violence et les excès, l'agissement sans discernement de ces notions essentielles que sont le Bien et le Mal ici confuses et récupérées: les sens perturbés par l'essence, l'essence de la vie évaporée, l'essence d'une déraison contre laquelle la société lutte; centres de rééducation en substitut; le démon doit être maté; la violence éducatrice en réponse à la violence. Cause ou conséquence, à chacun d'essayer d'y voir clair, car Dominic Murphy opte pour la confusion du genre et s'écarte de toute entreprise de dénonciation, de toute poésie élévatrice - la comparaison avec Birdie ou Vol au dessus d'un nid de coucou est vaine -, de toute construction manichéenne et pourtant il ne joue aucunement sur les nuances, il donne la parole au délire, parti pris rare, sans distance. Le narrateur décrit lui même sa confusion psychiatrique, y mêle un mysticisme emprunt aux dérives sectaires, aux messages appuyés par des réécritures, réinterprétations de références religieuses. De la confusion des genres naît la confusion des sens qui nous est exposée, nous mène de fausses pistes en fausses pistes - et pourtant l'effet de surprise ne devrait exister, car tout est dit, tout, une chose mais aussi son contraire. Les paradoxes sont innombrables, notre cerveau est invité à analyser, encaisser devrait-on dire, des signaux contradictoires qui jouent sur l'ensemble de nos cordes sensibles: amour, haine, violence, rédemption, vengeance, lutte intérieur; tels sont quelques sentiments que le récit traverse, dans ce qu'il serait honnête d'appeler un voyage psychiatrique. Tout comme "Breaking the wave", la narration se construit en tableaux, dans une photographie tout simplement magnifique. Maestria.


Le personnage principal parvient à nous être parfois sympathique, nous en sommes amenés à compatir, et il convient ici de relever l'interprétation exceptionnelle d'Edward Hogg, au regard de chien battu, de chien fou, crédible dans les sensibles instants, les meilleurs mais aussi et surtout les pires, qui nous rappelle par exemple la révolte lue dans le regard de Daniel Day Lewis dans "Au nom du père".




Nous avons tu jusqu'alors que le film ne peut être visionné par tous, et nous devrions aussi dans ce cas aussi taire que le film est une véritable épreuve pour le spectateur, épreuve sensuelle radicale, que d'aucuns qualifieront de prises d'otages, épreuve insoutenable tant la violence y atteint des sommets inégalés, à faire passer "Irréversible" pour une production Walt Disney, épreuve dont on ne sort pas indemne, épreuve qu'il convient cependant de nommer de son nom: chef d'œuvre notoire, comme l'était "Orange Mécanique" en son temps.

N'en déplaise à tous ceux que la radicalité rebute, ce film est l'un des meilleurs du genre; la provocation permanente des sons et des images dérange au final peut être moins que l'intégration aseptisée des dérives psychiatriques en poivre et sel de vinaigrettes fadasses et conventionnelles. Quand la violence est le sujet, elle est légitime. La fonction cathartique n'est pas assurée cependant: interdisons, par précaution, ce chef d'œuvre aux âmes qui se laisseraient perturber.




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