samedi 27 mars 2010

White material âpre et maîtrisé ****

Le futile, l'accessoire de l'homme blanc en Afrique est péjorativement nommé White Material. Le regard porté par les autochtones envers leurs colons est riche d'ambiguïté, entre modèle, envie, jalousie, et rancœur, dégoût, dénigrement. Ce que la colonisation a laissé en Afrique, ce sont des hommes livrés à eux même, mais aussi quelques descendants des colons, qui ne vivent pas sur le même pied d'égalité.

Des hommes organisés, en milices, en villages, mais aussi et surtout des hommes désorganisés, des hommes divisés entre terreur gouvernementale, qui a instauré petit à petit les moyens de son assise et de sa richesse, et radicalisation de la contestation, de la rébellion.

Nous sommes quelque part en Afrique. Où ? Cela n'a pas tant d'importance. Claire Denis a connu le Cameroun, elle connaît le sujet Afrique, et son film déjà en cela est un voyage concret, non une de ces images d'Epinal qui nous fait caricaturer l'Afrique entre splendeur de la brousse et de sa faune, beauté de l'ancestralité, du tribalisme, scénarisation de la violence quotidienne et apitoiement sentimental sur les conditions sanitaires; pour qui dirons-nous, parle d'une Afrique distante qu'il ne connaît pas, ni n'a envie de connaître au fond.

L'Afrique pourtant, c'est aussi ce terrain de jeu fascinant, cet autre monde, qui fascine à ne plus vouloir la quitter; passé à l'autre bout de la nuit, le jour paraît bien fade et bien peu attirant. Quand votre vie entière fut consacrée à, raisonne autour, trouve son sens dans un engagement au quotidien, au plus prêt de la terre, en immersion locale là-bas, ici n'a plus de sens, et même le destin de votre fils ne peut remettre en cause cet enracinement.

Isabelle Huppert incarne cette réalité, si ce n'est mieux que les autres tout du moins excellement, en exploitante cafetière, femme opiniâtre, volontaire, obstinée et battante.



Autour d'elle, tout le monde lâche les armes, tout le monde reconnait, constate que la tournure des évènements condamne les règles en place, condamne un temps révolu, devenu illusions plus encore qu'illusoire. 



Entre pleutrerie et pragmatisme, dans un habit adéquat, Christophe Lambert nous réapparait excellent acteur, étrangement présent et charismatique pour un personnage qui devrait l'être moins. Isaach de Bankolé est lui aussi employé à très juste titre, en résonance entre l'histoire dans le film, et l'histoire du film, en icône. Moins judicieux est cependant le choix de Nicolas Duvauchelle en adolescent tantôt attardé, tantôt psychotique.



Le fonds du décor emprunte aux sujets de prédilection de Claire Denis, sa fascination de la provocation, de l'outrage paraît ici encore, mais elle semble ici parlé vrai, sans exagération; elle fait preuve en effet d'une maturité cinématographique très intéressante, que ce soit dans l'image mais aussi et surtout dans la chronologie choisie. Quand la fin du film vous est dévoilé dés le départ, quel intérêt devrait-on trouver à suivre les faux espoirs, chronologiquement antérieur, qui suivent ?

La réponse est simple, l'intérêt réside dans la complexité, dans l'ambivalence, dans le mystère, et cette impression est de surcroît persistante. Vous ne trouverez nulle réponse évidente, nul pamphlet moralisateur dans ce White Material, aussi âpre que maîtrisé. Très certainement parmi les plus belles réussites de Claire Denis.  

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